Archives > Atelier / Expositions / Presse

Démarche artistique

Chaque jour je peins.
L’atelier guide depuis toujours mes vies, mes géographies. J’y vis, j’y travaille, sur des dizaines de surfaces alternativement, sous mes yeux et sur les murs, chacune allant son propre chemin.

Je commence en recouvrant la surface en couches successives ; c’est ma peau. Puis, les formes émergent ; je combine alors les mariages de toutes les couleurs, les gestes, les lignes, les tâches, la présence du sujet ; la vitesse, le temps et sa force rétinienne.

Puis vient l’image mentale, sortie de l’onctuosité, de la pâte gourmande.
Des huiles sur toile, parfois épaisses, croûteuses, uniques.

Je suis travaillé par l’immensité de l’espace exprimée, le sujet, le rapport à l’échelle sur un petit format ; alors, la peinture signe sa réussite quand le cadre de la toile disparaît et que sa dimension s’oublie.

Je suis un peintre de l’espace ; Michel Cegarra écrit : « Car, à vrai dire, Thibaud Thiercelin ne peint jamais un tableau. Il peint. Sur un surface déployée qui est aussi un vide. C'est-à-dire qu’il peint à travers une épaisseur où il est possible de se mouvoir, de faire des rencontres, de croiser des êtres, des animaux, des objets eux-mêmes mobiles […]. »[1]

La peinture est pour moi une traversée des images, une image au-delà de l'image, donc vivante.

Mes sujets sont multiples : la figure esseulée, la maison, les constructions, l’autisme d’un de mes fils, l’enfance grave, la perspective, ma campagne, les murs nomades, la figure en pied.

Peintre exigeant, et prolifique, je pense et cherche en peinture ; par le recouvrement, les glacis incessants, les cloisonnements, les gestes, les effacements, toujours désireux de garder la fraîcheur et la force du début.

Je peins depuis l’âge de mes quatorze ans. Mon école : la fréquentation des autres arts et artistes morts et vivants, et sans cesse, montrer, s’exposer. Elève chaotique, en sentiment d’exclusion, mal aux verbes, autodidacte ou presque, artiste éternellement émergeant, souvent mal à l'aise avec les systèmes. La peinture est mon espace d’existence, l’exercice de ma liberté.

Je suis un artiste peintre contemporain du Moyen Âge qui a dérapé, sans cesse rattrapé par la figure dans tous ses états. Mon quotidien, ma terre d’accueil, est la toile blanche. J’y peins ce que je vis, éprouve. Je transfigure ce que je vois.


Thibaud Thiercelin

1. Michel Cegarra, "Visio, somnia, phantasmat ; A propros de la peinture de Thibaud Thiercelin", in Thibaud Thiercelin, temps, chronique, séquence, limite, espace, les cahiers/n°16, DomaineM, 2019, p. 55.

BIO

"Ce magicien du pinceau, l'un des meilleurs artistes de sa génération"
Michel Cegarra, Directeur Artistique du DomaineM

Thibaud Thiercelin, consacre sa vie a la peinture depuis ses 14 ans, et expose depuis 1987 en Europe et aux États-Unis. Plus récemment il a travaillé avec le Directeur artistique du DomaineM, Michel Cegarra, qui l’appelle : « Ce magicien du pinceau, l’un des meilleurs artistes de sa génération. » Ce dernier lui a consacré trois expositions : « L’Origine de la Géométrie » ; « Le Songe d’une nuit d’été » (2015) et « Thibaud Thiercelin, Machines, Robots, Jouets » (2014). En 2018, le travail de Thibaud Thiercelin a bénéficié de quatre expositions personnelles : à la Galerie In Situ (Nogent-le-Rotrou), aux Salles Jean-Hélion du Centre Nicolas-Pomel (Issoire), à la Chapelle de l’ancien hôpital général, invité dans le cadre des « Arts en Ballade » (Clermont-Ferrand), et au Fonds d’Art Moderne et Contemporain (Montluçon). Parmi ses expositions passées, nous pouvons citer « Les Variations de la Figure » invité par le chorégraphe Alban Richard au Théâtre National de Chaillot à Paris, qui l’invite à montrer ses grandes toiles au Grand Foyer. Son travail a déjà fait partie de nombreuses expositions personnelles et de groupe, institutionnelles et commerciales, en Europe et aux Etats-Unis ; dans des galeries à Philadelphie, San Francisco, Princeton, Baltimore, et Paris. Il est présent aux salons parisiens de MAC2000 (MACParis, 2008), Salon de Mai et Salon de Montrouge... En 2005, il expose à la Bernstein Gallery, de l’Université de Princeton (NJ, USA) avec la commissaire, Kate Somers.
On retrouve beaucoup de ses œuvres dans des collections publiques, privées, et d’entreprises en Europe et à travers les Etats-Unis.
Artiste peintre prolifique, il vit et travaille dans l’Allier.

ECRITS

Les Solitaires
Quelle petite image perdue au fond du tableau ?

“Je suis plus ou moins sans place errant ça et là.…”

Vincent Van Gogh, Lettres à Théo


La peinture de Thibaud Thiercelin, pour tous ceux, nombreux, qui suivent son travail avec attention, semble ordinairement s’installer dans la prodigalité et la profusion. Formes et objets, paysages et machines, et toutes sortes de choses sans nom s’y déversent comme des figures errantes à travers un rêve. Nous avions déjà eu l’occasion1 d’évoquer, pour ressaisir ce travail, la vieille distinction entre la vision (visio) et le songe (somnium) : la première relevant d’une sorte de préfiguration des événements quand le second offre le monde embrouillé des révélations. Mais notons-le : l’énergie propre à l’artiste – cette permanente tension dans l’acte créatif – et le tissage de nombre de ses toiles où les éléments s’enchevêtrent en all over, paraissent figer la perception de cette oeuvre autour de son pôle expansif.

Ce que nous n’avons pas vu. La figure esseulée

A l’évidence quelque chose de l’oeuvre de Thibaud Thiercelin aura échappé. Quelque chose de si efficacement présent, si délibérément visible qu’il semble fonctionner comme la fameuse Lettre volée d’Edgar Poe. L’objet se soustrait à notre perception non pas parce qu’il serait dissimulé mais précisément en raison de sa trop grande présence.
Ce quelque chose nommons-le la figure esseulée. Elle s’installe la plupart du temps sur de petits tableaux (15 x 22 cm ou 12 x 18 cm) où elle émerge d’une matière fluide, posée en couches brouillées, contre laquelle elle paraît devoir en permanence s’affirmer. Brossé en far presto, le personnage, presque toujours seul, parfois en couple, est suggéré plutôt que défini et entretient toujours une relation sinon conflictuelle du moins instable avec son environnement. Les couleurs issues d’une palette retenue matérialisent un fond densifié, ouvert, où la figure très petite s’inscrit avec une présence matérielle surprenante. Comme si devait d’emblée s’affirmer son droit à être là, au coeur de cette inhospitalité, et à parcourir malgré tout ce monde sans fin.
De telles œuvres, intimistes, nécessitent bien sûr un regard rapproché et patient. Car il convient ici de laisser monter en nous l’atmosphère très particulière que Thibaud Thiercelin parvient à installer, entre attente et silence, précarité et distance.

Figures au bord du vide. Un monde trop grand

Une petite fille en jupe rouge marche ou danse sur une terre ocre, desséchée. Nous la voyons en plongée, comme si nous étions dans un hélicoptère. Un couple se tient serré, dans un paysage volcanique de terres rouges : ils sont luminescents et tiennent tête au monde. Un autre couple, nu, enlacé. Debout, immobiles, ils nous tournent le dos. Ils ont pris pied sur une île entourée d’une mer violette où l’ombre d’un animal les observe. A l’horizon des arbres roses s’appuient sur un ciel bleu traversé de nuages.
Ici, un personnage, en noir en gris, sur fond bleu. A travers son visage brouillé surgit un petit fantôme marron. Et là c’est un personnage en noir, projetant une ombre noire sur la vaste terre vide et bleue. Une ombre lui fait comme deux ailes aux chevilles, tel Hermès. Voici un adolescent, un peu crâneur, qui semble prendre la pose, les deux jambes écartées. Tunique pourpre, pantalon bleu, rayé. Il se dresse dans une immensité rose, baveuse, gélatineuse. Un autre, pantalon bleu, chemise blanche, vu de haut. Il est sur la berge, près d’un feu. Il regarde vers le large. La mer est sombre, opaque.
Encore un autre. Il court et une lumière jaune l’entoure affectueusement comme un manteau volant. Il passe devant l’arbre mort. Au loin une montagne entourée de brumes et de fumée. Un autre encore. Un homme âgé à présent, tout de blanc vêtu avec des bottines rouges. Mais ce sont peut-être des chaussettes. Il porte une grande casquette et pousse devant lui un objet sans nom. L’homme fume. Ciel noir de charbon qui se répand comme un brouillard dense. C’est un couple à présent. Ils marchent précautionneusement en se donnant la main. Elle porte um manteau marron et lui des vêtements sombres. Ils ont des chapeaux. Ils s’éloignent d’une rivière qui serpente au pied des montagnes. Ils avancent.
Ici quelqu’un s’est couché nu, seul, au pied d’un arbre roux. Et là un petit être vêtu de haillons gris, chemine seul sur une terre découpée par la croix noire de chemins qui ne mènent nulle part. Là c’est un jeune garçon. Tout de blanc vêtu, les mains dans les poches. Autour de lui une terre d’ocre où rien ne pousse. Il se tient, c’est étonnant, juste sur le bord inférieur du tableau, et il regarde de l’autre côté, là où nous sommes. Comme s’il cherchait à passer par là, par ce chemin là.

Des fugues, des retraites, des cristallisations. Une pensée du fragment

Les Solitaires sont là, devant nous. Ce sont des figures comme installées dans un monde trop grand. Des êtres qui doivent faire un effort –un mouvement, un geste, un pas de danse, une cabriole, une marche – pour exister ou, du moins, pour attirer notre attention. Mais, quant au fond, ils ne souhaitent pas “attirer notre attention”. Leur désir paraît les porter à se fondre dans le décor, à s’offrir au vide qui les entoure, à la pâte picturale qui installe autour d’eux un univers en retrait marqué par le silence et la vacuité. Parfois, le format aidant, l’être vivant n’est plus qu’une pauvre petite pantomime, un Pierrot lunaire en voie de disparition. Aussi, ses forces l’abandonnent et il paraît consentir à sa propre dissolution dans la peinture.
Ces figures comme retenues au bord du vide à l’aide d’un pinceau réparateur, disent quelque chose sur la distance et le retrait. Nous aussi nous nous éloignons de figures que nous aimons et nous croyons percevoir un retrait dans ce qui s’apparente davantage à un éloignement. Sans doute le monde est-il de la sorte tissé de ces mouvements divergents que nous ne voyons plus.
Ce sont des fugues, des retraites, des cristallisations. Mais c’est aussi une pensée du fragment, fragmentaire elle-même[2], qui laisse advenir vers nous ces êtres démunis, désoeuvrés, qui partent au fil de l’eau. Mais, observez-le bien, le pinceau de Thibaud Thiercelin n’est jamais complaisant ou sentimental : il offre un lieu à qui n’a pas de lieu, un monde possible, aussi précaire soit-il, pour de pauvres créatures sans nom, marchant en quête d’une existence qui leur appartienne.

Les Solitaires inscrivent dans la peinture la figure de ce qui ne fait pas image. Ce sont des signes brefs qui incisent et convoquent. Leur lumière brouille notre regard.

Michel Cegarra

NOTES

1. In “Visio, somnia, phantasmata. A propos de la peinture de Thibaud Thiercelin”, texte accompagnant l’exposition de Thibaud Thiercelin au DomaineM, “Machines, robots, jouets”, 15 novembre- 23 décembre 2014. Notre référence est celle du Commentarii in Somnium Scipionis (Commentaire au Songe de Scipion), I.3., de Macrobe (Ve siècle), dont une édition bilingue récente révèle toute la richesse (Belles Lettres, 2001).

2. Le travail de Thibaud Thiercelin, un des meilleurs artistes français de sa génération, se développe en germinations et réseaux parallèles où les motifs, tantôt élargis par le grand cadre du “panoramique” tantôt serrés par le plan rapproché, installent en permanence une dialectique de l’ensemble et du fragment. La richesse des inventions est ainsi scandée par l’émergence en archipel des prodigieux tableaux de petits formats.


DomaineM / Exposition Thibaud Thiercelin
Exposition « Machines, robots, jouets » par un des meilleurs artistes français de sa génération. 35 peintures, 18 assemblages, 32 dessins.


Le rêve de Noé

« Il ouvre le Temps, quitte la file, rompt la chronique, disloque la séquence, éprouve la limite, ouvre un espace. »
- Michel Deguy, Actes

« Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants… »
- Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre

C’est d’emblée ce qui frappe le regard : la toile s’offre comme une surface constellée d’évènements, de formes, de figures qui se présentent à première vue sans hiérarchisation, dans une sorte de projection frontale où chaque élément s’installe pour son propre compte. Les appréciations portées sur la peinture de Thibaud Thiercelin renouvellent cette approche : on y évoque l’énergie, la multiplicité, la densité. Mais ce vocabulaire, s’il convoque des figures établies d’artistes et suggère un mode d’apparaître du tableau, s’avère insuffisant pour saisir le travail de cet artiste et la manière dont les images viennent à s’agencer. D’une certaine manière, ce vocabulaire escamote ce qui est à l’œuvre : le processus même de construction du tableau, dont le-tableau-exposé n’est jamais qu’un « arrêt sur image », à la fois aléatoire et précaire.

Mondes mouvants, univers imbriqués
Car, à vrai dire, Thibaud Thiercelin ne peint jamais un tableau. Il peint. Sur une surface déployée qui est aussi un vide. C'est-à-dire qu’il peint à travers une épaisseur où il est possible de se mouvoir, de faire des rencontres, de croiser des êtres, des animaux, des objets eux-mêmes mobiles, montgolfières, aéroplanes, patins à roulettes, de traverser des villes fortifiées, des fêtes foraines, des campagnes démesurées où traînent des grues à l’abandon, des carrelets sur pilotis, des machines désossées, de marcher au bord de falaises, sur des terres noires ou des herbes caillouteuses…
Le voici le territoire de travail de Thibaud Thiercelin : non pas la grammaire immobile des formes mais les mondes mouvants des univers imbriqués où tout advient pour le regardeur car s’il marche et court, il peut tout aussi bien sauter dans le vide, voler au dessus des villes, plonger à travers les méandres du temps. L’acte de peindre ouvre ces possibilités : il dilate l’espace-mémoire où s’accumulent en déluge des milliers d’objets flottants.

La peinture comme (rêve du) déluge
On raconte qu’après le Déluge Noé dormait mal. Des rêves et des visions l’assaillaient chaque nuit où il renvoyait, en survolant les terres noyées, des millions de choses et d’êtres emportés dans le torrent des eaux. Ce n’était jamais la même scène, ni le même lieu, mais une traversée des scènes et des lieux, à travers la grande épaisseur flottante des mondes dissociés et des espèces à la dérive.
Thibaud Thiercelin peint comme rêve Noé. Il combine la vision et le songe* pour convoquer des assemblages de formes, d’êtres et de lieux qui semblent procéder d’un désir de salut, de guérison ou de joie retrouvée. Le flux des images remonte à travers la mémoire et bouscule tout. Il traverse et emporte, soulève, déplace, projette. Du bout du pinceau, l’artiste accroche les magmas, les déplace, les fait remonter et leur offre une forme possible, c'est-à-dire la chance d’une vie. L’effacement et le brouillage participant des possibilités et des options.
Ce monde perdu où tout « existe » c’est à la fois la mémoire et le rêve, mais aussi et surtout une vision haletante, consumée en permanence par sa propre exigence. C’est un univers en déplacement om l’instabilité devient la norme, où l’enfant – constamment représenté – est à la fois le magicien rêveur et l’être englouti dans le maelström. L’image même de l’artiste.
Michel Cegarra / octobre 2014






* Peut-être faudrait-il ici évoquer la pensée de Macrobe, philosophe latin du Ve siècle, à propos de la distinction entre la vision (visio) et le songe (somnium). Macrobe, Commentarii in Somnium Scipionis (Commentaire au Songe de Scipion), I.3.



« DomaineM / Exposition Thibaud Thiercelin
L’hospitalité des corps-langages »
par Michel Cegarra

L’œuvre picturale de Thibaud Thiercelin sous l’apparence d’une pluralité multipolaire, possède une grande unité et trouve constamment de nouvelles ressources dans cette unité vécue comme un monde sans issue mais profondément légitime en raison de sa plénitude. Le sentiment de « chaos », souvent accru par un pinceau qui sait dresser des distances, ne procède pas d’un montage particulier, il est le résidu d’une activité énergétique, d’un champ de forces au travail dont, en tout état de cause, nous ne pouvons que prendre la mesure après-coup.

Machines…
La machine est omniprésente dans la peinture de Thibaud Thiercelin. Non pas la machine rutilante dont la technologie est identifiable, mais des engins qui paraissent emprunter à divers processus aléatoires leurs capacité à agir. Dans un vide bleuté passe un gros engin spatial lacéré de filaments de couleurs. Deux grosses hélices tournent vivement sur les côtés, tandis qu’un plus petit rotor, à une extrémité, stabilise la machine volante.*
Ces machines se déplacent constamment car dans le monde de Thibaud Thiercelin l’immobilité c’est le drame. Il faut à toute force bouger, rouler, traverser, s’éloigner. Rester en placer est dangereux, seule la mobilité peut nous sauver. N’importe laquelle : celle du corps, celle de prothèses (comme les échasses, les montgolfières), ou celle de machines qui sont aussi des corps, des corps qui passent et fuient, des corps qui ne veulent pas souffrir.
Sur une terre grise s’étirent des champs colorés et des routes blanches et, tout là bas, de grandes machines tournent silencieusement dans le bleu du ciel. Il faut courir vers les fêtes foraines qui se tiennent aux abords des villes car il y a là de grandes machines apaisantes comme des corps humains enfin libérés de leurs douleurs et redevenus fraternels, grands-Huit, chenilles, trains fantômes…

robots…
Cela peut paraître déroutant de prime abord, mais le monde de Thibaud Thiercelin est surtout un ensemble de dispositifs liés au corps. Beaucoup d’objets paraissent constituer des métaphores ou des rébus plastiques renvoyant aux organes, aux membres, à la tête. Le gant, le bouquet de fleurs, l’arbre sont des images du corps en croissance.
Tandis que les plaines étendues et vides, les nuages, les arcs-en-ciel, les chemins, correspondent à des états de débordement ou de déversement du corps. Pour quasiment chaque peinture, observez comme il est question d’un conflit entre les forces lumineuses du rassemblent (le bouquet, la maison, le papillon, le manteau, la cabane…) et les situations douloureuses de l’écartement, de la fissure, de la blessure (le piège à mâchoires métalliques caché dans la grande roue de la foire, les eaux dangereuses, les déchirures de nuages, les hautes falaises inquiétantes, les îles qui s’éloignent…).
Le robot est alors une figure du corps organique uniquement préoccupé de son fonctionnement, sans lien dissolvant avec le monde. C’est l’être au-delà de la souffrance parce que, précisément, il est délesté des méandres de la conscience et des aberrations de l’inconscient. C’est l’être en vie sans douleur. Il va, tout simplement. Lorsque son mécanisme s’arrête, on peut le remonter pour qu’il poursuive sans fin sa claudication bienheureuse. Qui ne voudrait être un robot ?
L’enfant aux échasses traverse le paysage noyé d’eau bleue en passant du nénuphar. Le même enfant porte un papillon blanc tacheté d’orange et de vert. Le même enfant arpente avec ses échasses un paysage jaune. Il se retourne en souriant vers un papillon moucheté de couleurs qui l’accompagne.

Jouets
La peinture de Thibaud Thiercelin donne hospitalité aux corps-langage, aux corps saisis sous une multiplicité d’apparence mais toujours selon leur flexion existentielle, leur désir de durer hors du remède, hors de la douleur et du déplaisir, à l’écart des blessures. Si le jouet surgit alors dans cette peinture c’est comme un analogon du corps maltraité.
Peut-être suffirait-il en effet de laisser les éclats frapper de tels simulacres afin de protéger le vrai corps. Le jouet se blesse et souffre à la place de l’enfant car il incarne le destin malheureux tout en le projetant au dehors. Le tableau, de la sorte, ouvre des espaces d’accueil à ces figures de l’effroi et du désordre : il rétablit les lieux de guérison, les opportunités de protection. Le jouet est un talisman et comme tel il veille et porte chance. Comme le tableau.
Deux tours crénelées sur fond de ciel bleu. Des corps chutent dans le vide et, tels des spectres, se confondent avec la muraille. Le château-fort est aussi un jouet, un corps-langage. Il tient à distance. Il offre aux corps la possibilité merveilleuse de s’évanouir dans les formes spectrales ou de se minéraliser dans le monde inorganique.
En dépit de ses couleurs jubilatoires ou grâce à elles, le drame permanent de la peinture de Thibaud Thiercelin rejoint alors toutes nos questions inquiètes sur l’état du monde et sur notre présence ici-bas comme êtres vivants.


*Les phrases en italiques sont des descriptions sommaires d’œuvres (peintures ou dessins).

Texte « L’hospitalité des corps-langages » par Michel Cegarra, extrait du DomaineM/Le journal, n°2, automne 2014

GO FIGURE

Je peins le monde en chair et en os.
Jour après jour, j’écris l'autobiographie vivante de mon regard sur le monde. Je cherche a déclencher une insurrection visuelle des images, renverser leur point de vue ; iconoclaste, vitaliste, je cherche à animer et rendre compte, donner à voir ce qui m'entoure au dedans, au dehors ; Je ne tiens rien ni personne pour grand sujet ; dans ma république, je ne vois que des "petits" personnages. Si je fais mon cinéma personnel, c'est pour mettre les figures privées de la peinture à la portée de tous.
Si je fais de la figuration, c'est toujours dans l'idée de ne pas voler la vedette à la toile. Je me tiens devant, je suis un partisan du profane, je peins des crucifixions laïques, des temples minuscules, des stations sans destinations.
Chez moi, quand la Figure devient abstraite, ce n'est pas pour laisser un vide, une vacance monochrome ou pigmentaire, mais au contraire, c'est pour retirer ce qui masque la Figure (le personna), c'est pour retirer son masque, montrer sa vraie face.
Le monde en face (en pleine figure) ; je peins un carnaval à l'envers.
A moi toutes les Figures de styles (Go Figure) j'opère une rhétorique de la représentation, pratiquant des hybridations pieds de nez, drôlement tragiques ; des paysages anthropomorphes, des vortex buissonniers, des road-movies immobiles.
Le style de mes Figures de Styles use de la métaphore, de l'hypotypose (l'image des choses), s'apparente souvent à l'oxymore ; l'oxymore est une figure qui consiste à réunir en une seule expression des contraires, c'est ainsi qu'on parlera d'un "illustre inconnu", d'un "clair obscur", d'un "étranger familier". Marier les opposés, réconcilier les incompatibles, voilà à quoi j'œuvre en produisant des "Autoportraits d'Espèces" des "Murs Nomades".
Au fond, je cherche à rendre ma singularité familière en montrant l'invisible et tenir le rêve éveillé ; Peindre et Figurer le monde replacé devant mes yeux.
L'ambianceur sensationniste

-Thibaud Thiercelin

GO FIGURE

I paint the world in flesh and bones. Day after day, I write the living autobiography of my vision of the world. I seek to trigger the visual insurrection of an image, to reverse its point of view. Iconoclastic, vitalist, I seek to animate and to report, to expose the inner vision of that which surrounds and encompasses me, and expose it to the outside. I consider nothing or no one as “important” subject matter; but see only “small” characters in my republic. If I make my own movies, I do so in order to make the private figures of the paintings universal and therefore accessible to all.
If I am but a mere “extra” in this production, it is with the goal not to upstage the painting.
I stand before it as a partisan of the profane; I paint secular crucifixions, miniscule temples, stations without destinations.
For me, when the Figure becomes abstract, it is not my intention to leave a space, a monochrome or pigmentary vacancy. No, my aim is to remove the Figure’s mask (its persona), so as to see its true face.
The world opposite (in your face); I paint an upside-down carnival.
All the Figures of speech are mine (Go Figure). I operate a representational rhetoric, practicing hybrid thumb-noses, tragically funny, anthropomorphic landscapes, truant vortexes, immobile road-movies.
My Figures of speech utilize metaphors, hypotyposis, often oxymorons. The oxymoron acts as a figure of speech, reuniting contraries in a single expression. It enables one to speak of an “illustrious unknown”, “Chiaroscuro” (clair obscur), or of a “familiar strangeness”. Marrying opposites, reconciling incompatibles, this is my work in generating “Species of self-portraits”, “Nomadic Walls”.
In essence, I seek to make my singularity familiar by materializing the invisible, by keeping the dream awake; Painting and Figuring the world re-placed before my eyes.
The sensational ambiancer.

-Thibaud Thiercelin
(translated from the French by Diane Barr Quinlin & Lisa Salamandra)

Le Trousseau des 131 Serrures de Thibaud Thiercelin

« De vue, non de vision. »
-Mallarmé

C’est en compagnie de Germain Nouveau qu’Arthur Rimbaud mit au propre à Londres, ses fameuses « Illuminations », c'est-à-dire, ses Enluminures, au sous titre explicite : « Painted Plates », gravures coloriées. Jamais sans doute l’écriture n’avait tant sollicitée la vue au détriment de pures figures de style. Pour voir, il faut déplacer l’oeil, le faire voyager, surprendre ses fausses certitudes de verticalité, de perspectives, d’éclairage, de champ. Il faut le désaccomoder.

Il y a quelque chose de cette nature dans l’ensemble des petits formats et des petits objets peints que nous propose Thibaud Thiercelin. Je dirais Rimbaldienne cette façon de produire les images. D’abord le caractère d’évidence : « Je voyais franchement une mosquée au fond d’un lac » qui relève du caractère anecdotique du regard. Cette aimantation de l’oeil pour la déformation produite par le bouillon d’un carreau, qui bossue le passant ; ou l’ombre projetée vers le plafond quand le poète passe derrière une lampe posée sur une table : « Néanmoins, je me trouvais chez Madame en gros oiseau gris s’essorant vers les moulures…».

Saynètes optiques ? Révélations scopiques ? Persistance d’images, onirique ? Que dire d’autres de ces tours monocycles, ces cathédrales chapeau d’âne ? Ces béquilleux en plein ciel ? Certains tableaux sont peints dans le presque noir à l’heure où le chromatisme s’endort et laisse dans le sommeil de l’ordinaire s’éveiller les monstres visuelles: les merveilleuses images polysémiques, hybridées, entées du rêve, rafistolées, bricolées qui empruntent à tous les genres pour n’en faire qu’un en devenir dans ce genre humain ininterrompu qu’il
affectionne. D’autres sont des variations sur une scène vue ré ingurgitée par l’oeil, comme la série sur le chorégraphe Alban Richard en montgolfière, en morceaux, en assyriens, en lévitation, en grand jetée… Thibaud Thiercelin aime la divagation du regard qui dévoile les scènes privées de vues publiques. Ce qu’il nous propose, ce n’est pas de la série manufacturée, du « déjà vu rencontré à tous les airs », de la certitude reproductive, c’est une incroyable moisson d’illuminations intrigantes, pleine de malice enfantine, de suspens, qui ont
la vertu, dans une époque réalitaire, de jeter leur doute salutaire. Une chose encore le rapproche des « Illuminations », c’est l’absence totale de psychologie ou de moral dans ses points de vue. Il semblerait bien qu’il ait tenu la promesse faite à Rimbaud d’« enterrer dans l’ombre, l’arbre du bien et du mal ».

-Gérald Stehr

Thibaud Thiercelin: “Valentin c’est moi”

Since coming to the United States in 2003, the French painter, Thibaud Thiercelin, has produced a body of work whose subject matter is both personal and universal: the birth of his first child. Unlike the focus of his two earlier series of paintings, his experience of travel in India in 1999 (“Suites Indiennes”), and his expression of the event of September 11, 2001 (“11 Septembre et Autres Jours”), this series is primarily an intimate family portrait. At the same time, the work taps into our collective memory and goes far beyond one artist’s experience of the world.

The paintings on view move between figuration and abstraction, narration and non- sequitors. The series began before Thiercelin’s son, Valentin, was diagnosed with autism at 3 years of age. As Thiercelin painted his way through his understanding of his son’s disability, passages of both ecstasy and despair are expressed in the art, occasionally sharing the same canvas. As a self-taught artist, Thiercelin’s work shares certain aspects of outsider art. While the definition of outsider art today is murky at best, it was initially described as spontaneous and unpremeditated, and almost always associated with artists who had no academic training. Sometimes called visionary art, this kind of visual expression is often associated with a sense of psychic immediacy, and often the subject matter, if there is any, has a childlike and naïve quality in its rendering. These aspects of unfiltered expression are all evident in Thiercelin’s work.

While there are paintings which contain only one dominate image, much of the work is a patchwork of visual vignettes that hangs together successfully often not because of a cohesive subject matter but because of an intuitive sense of color, form and overall compositional balance. Certain colors and shapes repeat themselves in many canvases: reddish raspberry, grays and blacks, sky blue, lush green and royal gold; and floating figures, airplanes often with bombs, flags, spokes of a wheel, ladders, hands, lozenger eyes, fish, castle towers, and a child’s face with big eyes and a cowboy hat. These recurring images, interspersed with pure abstract passages, begin to suggest a narrative but, just as quickly, do they break down if one tries to reconcile their meaning in the context of the whole composition. As in a dream, where images beget other images in a kaleidoscopic stream of consciousness, life is constantly in flux, and these paintings refuse to settle down.

In the painting, “Ainay-le-Château”, a child’s head (presumably Valentin?), morphs into a bird, engulfed in a field of regenerative green. A figure of a man (his father?) floats in the upper left, other abstracted heads to the right, and in the lower right, a chateau tower. One senses a peaceful, familial setting in a small French village. Life is protected; life is good. “Elephant Home” and “The Rabbit behind the Tree” suggest the magical, joyous hallucinations of a child.

There are dark paintings. In “Asil” (“house of crazies”), a half animal, half human creature is floating in dark space, appearing to be connected to the earth by a red rope. In “Maman à la guerre” (Mommy at War), a vortex of ominous energy spins suggestive images of figures and buildings and trees and a woman out of control.

How does a painter describe his emotional response to a world that is so multi-faceted it defies representation? In “l’enlèvement”, there are two angelic looking children beneath a star in the upper left hand corner. To the right of them is possibly a pregnant looking figure, and underneath this scene is a prostrate, crucified male figure ensnared by what appears to be tracks from a children’s train set.

For this artist, reality is constantly shifting. A moment of pastoral peace or domestic bliss shifts quickly into an exploding building or a plane dropping bombs. Within Thiercelin’s painting, viewers will find a visual language that is deeply, sometimes opaquely, personal, but they will also see glimpses of an all too familiar world.

-Kate Somers

Thibaud Thiercelin Le Métamorphoseur

Parlons un peu de l’Imagier d’Ainay le Château, Thibaud Thiercelin fait partie de ces faiseurs d’images qui s’inspirent directement de ce qu’il a sous les yeux. Mais à la différence des peintres qui travaillent sur le motif, - fut-ce la montagne Sainte Victoire de Cézanne, ou les harengs saur de Soutine, - Thibaud Thiercelin fait subir à ses motifs de multiples transfigurations. Il se prend pour la nature elle-même pratiquant des hybridations improbables, des mutations incertaines. C’est un métamorphoseur de premier ordre. Prenons la petite cabane de son jardin, qui fut jadis peut-être dévolue à un usage de cabinet, où venait rêver ses usagers, ou qui servie de petite remise. Thibaud en parsème ses toiles, mais parfois il n’en reste que la structure fantôme, comme un signe, d’autre fois elles s’allongent démesurément, elles nous comptent l’histoire de l’architecture, de son signe portique jusqu’ à s’essorer vers les hauteurs New Yorkaise que Thibaud a eu devant les yeux. Certaines pâtures sont semées de maisonnettes, comme une floraison, et ce serait intéressant de sonder l’âme du peintre quant à ses floraisons assez extravagantes, en les comparant à une autre série de toiles semées de bébé. Des éclosions sur des tiges qui sont des immeubles ou des trompes.

Ce que l’on peut dire sans trop extravaguer c’est que Thibaud Thiercelin peint plus le sens des formes que les formes elles-mêmes. Cette maisonnette devient tour à tour, une cabane enfantine, la masure, le plan essentiel d’une structure bâtie.

On peut relever ainsi dans sa peinture, une sorte d’alphabet, ou plus exactement de nucleus, de matrices qui vont à travers ses toiles muter sans cesse. Il y a cette petite cabane. Les bébés, un petit enfant à chapeau de cow boy, des couples qui dansent avec une telle énergie qu’ils déforment et absorbent toutes les formes du désir comme dans un kamasoutra inédit.

Pour le peintre tout semble motif à transformations. Que l’on ne s’y trompe pas, Thibaud Thiercelin a opté pour une apologie du vivant, un panégyrique en perpétuelle semence de formes. C’est l’œuvre d’un homme qui aime la vie dans toute sa variété et qui expose les motifs de l’aimer.

-Gérald Stehr

The Paintings of Thibaud Thiercelin

Critique is the preeminent motif of modernity. Far beyond its use as an analytic tool, it has shaped our perception of reality. In so-called post-modern times, it has literally created a new context and ambiance, a new habitat for human consciousness. Human experience and its symbolic expression is recast in critique’s conceptual net through which what is vital, essential and immediate in human experience falls in a kind of Nietzschean free fall. Because it is vital and essential, it is not annihilated, rather, it reinvents itself over and over in the midst of its fall creating surprising and diverting arabesques in mid-air.

Much of what is called art today consists of such play in free fall. It pervades literature as well as art and blurs the line between popular culture and art. It legitimizes itself by appeal to irony as the most authentic response to a broken, foundationless world and fractured reality.

For young artists attempting to find their own authentic path, the post-modern represents yet another stage of liberation. Intellectually and politically it becomes yet another ideology, the ideology of the quick change artist.

The paintings of Thibaud Thiercelin have little or nothing to do with any of the above. That is not to say the work does not reflect its time nor the influence of contemporaries. Nor has it been produced without regard to critique, for the critical aesthetic faculty and sensibility is always present to guide the hand and eye and to judge when or when not a given work is finished. That is the authentic use of critique in which case it is neither a tool (techne) nor a universe of discourse that may or may not be relevant (topoi & logoi) or which may have a life independent of the work of art. Between experience, inspiration and execution there may or may not be reflective distance of a kind that more often than not produces the chatter and hyperbole known to us as art criticism. If that criticism, as a function of critique in the modern sense, happens to strike a nerve in the body of the work so as to have the ring of truth, it is because the critic has shared in a fundamental way the aesthetic experience of the artist. Further discourse can only distance the critic from the work. Critique can be a useful tool but makes only mischief when taken to be the soul of the matter.

Almost from the beginning of his life, this artist knew his language, the language of color and light and form, and was alive to the world in a way that would not allow his experience of reality to be overshadowed or distorted by the discourse about art. His art has not been spoiled by school or by critique. Very little mediates the vital connection between his experience of reality and its symbolic expression. That, of course, gives his work a spontaneous, innocent, almost naïve quality. This is illustrated by recent work evoked by recent experience: The Indian series prompted by several weeks of exploring the South of India; the experience of becoming a new father; and depictions of the terrorist attack upon the World Trade Center with its bellicose implications.

The remarkable Indian series is a rapid translation of the artist’s experience of the highly sensual and visual quality of Indian culture bathed in the sun of southern India. A superb colorist, the artist was able to capture the brilliant and variegated palette that is India along with depictions of its sacred animals, spectrum of gods ranging from the sublime to the grotesque, its teeming peoples, its sacred rivers and temples. All of the canvasses are imbued with meaning just as all the iconography of India is. India has its sacred texts, but the culture itself is a text suffused with meaning. This is captured in a powerful and concise way in a painting that shows a bloody Ganges with Indians, turbaned and loinclothed, floating toward the multiple mouths of hindu temples.

Certainly the tragic events of September 11th and the birth of a first child are meaningful but their meaning would have to unfold in time. In consequence, both series are conveyed in an almost childlike manner, meaningful events symbolized with the immediacy, freshness and wonder of a child. It is neither the calculated simplicity of Miro nor the celebratory evocations of Chagall (compare “La Mer”) but the unmediated conjunction of human experience and its symbolization. It is anamnetic because such conjunctions are very ancient with symbolizations preceding one’s own lifetime. Because it is anamnetic, the work invariably has hidden depths, which is to say, depths that take looking again and again to emerge. That is the stuff of which cultural canons are made. A cultural committee of the cognoscenti does not validate an enduring work. The work asserts and validates itself because its secret wellsprings beckon again and again.

Because the artist, Thiercelin, possesses a natural joie de vivre, boundless curiosity, unflagging sense of humor and a will to explore and exploit life to the fullest, however dark the experience, his depiction of it in art is never without hope nor void of the promise of transcendence. Thiercelin’s world will not end with a whimper but with an explosion of even greater being with new possibilities of color, line and palpitating structure and ever shifting boundaries. One can refer without exaggeration to “the joyous art of Thibaud Thiercelin”. The quiet explosions of color in “un 14 juillet dans le jardin de Rousseau”; the cascading hills of “San Francisco”; the brilliant complexity of “la nostalgie du roi”; and the austere winterscape of “la foret” all testify to that spirit.

-Ken Whelan

Thibaud Thiercelin L’Ambianceur Sensationniste

En voilà un qui, comme Rimbaud ne peut s’empêcher d’aimer la liberté libre, et cela ne manque pas de laisser des traces dans sa manière picturale. Si l’on devait tenter de la qualifier, et de la chiffrer cette facture si singulière du redoutable ambianceur qu’est Thibaud Thiercelin, on pourrait dire qu’elle est d’emblée pour ne pas dire « cash ». Elle parvient à nous faire ressentir cette sensation incroyable de l’être se sentant être, et nous la rendre prégnante, immédiate, indéniable.
« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui. » Comme le dit Mallarmé, est son pain quotidien. Il n’en a jamais assez !
Cet art de vivre l’art journalier, intensément, sans contrainte, selon son humeur du moment, sans légitimité autre que d’accomplir complètement ses vues au jour le jour est sans aucun doute à haut risque pour l’entourage. La liberté coûte cher d’abord à celui qui la pratique, et pour tous ceux qui la fréquente.
Néanmoins fréquenter sa peinture reste encore une activité abordable.
Que faut-il entendre, et voir, par peinture d’emblée ? C’est une démarche sensationniste qui donne toute sa mesure aux moments les plus humbles.
Il s’agit d’une immédiateté entée sur le durable.
Dans : « Les aventures du nerf optique », Jean Clair écrivant de façon visionnaire sur la peinture, dit à ce propos : « Or, la peinture ne s’est longtemps préoccupée que de figurer cela que je vois devant moi, mais elle n’a que rarement tenté de figurer l’intégralité de ce que je vois, c’est-a-dire non seulement la mince portion visuelle dans laquelle j’avance, mais aussi tout ce qui survient sur les côtés, à la périphérie du regard, et dont je n’ai conscience qu’à ne pouvoir le décrire. »
Certains peintres, pourvus de formidables moyens se sont attelés à cette tâche, en disloquant la figure et le cadre dans ses multiples conventions pour la rendre consciemment et durablement visible. D’autres avec des moyens plus modestes ont tenté de biaiser la conscience rétrécie du voyeur en la rendant voyante en ambiançant la représentation.
Il s’agit de transférer les sensations les plus fortes éprouvées dans la vie en les transfigurant en signaux picturaux. Un Soutine fait basculer l’espace de ses natures mortes pour que l’on voie mieux le hareng saure que l’on peint avec le ventre, un Chaissac en trace ses tristes figures et la triste condition d’êtres humains à base d’épluchures et d’empreintes de coup de serpillière. Thibaud Thiercelin quant à lui marque son évolution en Petit Poucet,
mais son goût de l’école buissonnière, pour ce qu’il nous donne à voir : c’est les bottes de sept lieues.
Est-ce une peinture vitaliste, empreinte de merveilleux, en un sens oui, mais un vitalisme, d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en gestation ininterrompue, en perpétuel inachèvement ; car c’est avant tout une peinture « rustique moderne » pour reprendre la définition que Gaston Chaissac opposa à celle d’Art brut de Dubuffet. Thibaud Thiercelin fait du prosaïque sans le savoir. Voilà une caractéristique de la technique picturale Thierceline, c’est une peinture fraîche, ne vous y collez pas si vous n’avez pas un bon teinturier, c’est une peinture de peaux rouge à vous maculer les yeux !
Thibaud Thiercelin ne partage pas avec Rimbaud que ce goût immodéré pour la liberté libre, il semble avoir repris son programme visuel de son art poétique :
« J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, roman de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. »
Il y a évidemment cette chose déconcertante et parfois horripilante chez lui qu’entraîne cette passion sans bornes pour l’enfantillage et son peu d’intérêt pour les conventions : le principe de réalité, chez lui, n’est resté qu’un principe secondaire, approximatif, intermittent. Ne lui demandait pas ce qu’il pense, ou ce qui ne se fait pas, en vrai, il n’en a aucune idée ! Apprenez-le de sa peinture qui vous répondra avec sa belle bouche peinte.

-Gérald Stehr

L’œuvre de Thibaud Thiercelin

La critique est le motif premier de la modernité. Au-delà de son usage comme outil analytique, elle a formé notre perception de la réalité. A notre époque soit disant post-moderne, elle a littéralement créé un nouveau contexte et une ambiance, un nouvel habitus de la conscience humaine. L’expérience humaine et son expression symbolique sont remaniées dans le filet conceptuel de la critique, à travers laquelle toute la vie, l’essentiel et l’immédiat de l’expérience humaine tombe en chute libre Nietzchéenne. Parce qu’elle est vitale et essentielle, elle n’est pas annihilée mais au contraire se réinvente à mi-chute, formant dans l’air des arabesques surprenantes et divertissantes.

Beaucoup de ce que nous appelons art aujourd’hui consiste en ce jeu en chute libre. Il prédomine la littérature ainsi que l’art et rend floue la distinction entre la culture populaire et l’art. La critique se légitime en faisant appel à l’ironie comme étant la réponse la plus authentique à un monde brisé et sans fondations, et à une réalité fracturée.

Pour les jeunes artistes cherchant à tracer leur chemin individuel, le post-moderne représente encore un autre stade de libération. Il devient juste, intellectuellement et politiquement, une autre idéologie : l’idéologie de l’artiste-caméléon.

L’œuvre de Thibaud Thiercelin n’a que peu, même rien, à voir, avec l’expérience décrite ci-dessus. Ceci ne veut pas dire que son œuvre ne reflète pas son époque ni l’influence de contemporains. Elle n’a pas non plus été produite sans souci de la critique, car la faculté esthétique critique et la sensibilité, sont toujours présentes pour guider la main et l’œil et elle permettent de juger quand un certain tableau est complet. Ceci est l’usage authentique de la critique, cas ou elle n’est ni outil (techne), ni univers de discours qui aurait pu se montrer autant bien pertinent que pas (topoi et logoi), ou qui aurait pu avoir une vie indépendante de l’œuvre, il peut y avoir, ou non, une distance de réflexion de sorte qu’elle produise le bavardage et l’hyperbole que nous connaissons aujourd’hui comme critique de l’art. Si cette critique, comme fonction de la critique dans le sens moderne, venait à remuer dans le corps de l’œuvre de sorte à sonner vrai, c’est parce que le critique a partagé de manière fondamentale l’expérience esthétique de l’artiste. D’autres discours ne peuvent que distancer le critique de l’œuvre. Bien qu’étant un outil utile, la critique ne crée que malice quand elle est prise pour le cœur du sujet.

Depuis ses jeunes débuts, cet artiste connaît son langage, le langage de la couleur, la lumière et la forme, et est bien éveillé au monde de manière qui empêcherait que son expérience de la réalité ne soit assombrie ou déformée par le discours autour de l’art. Son art n’a été teinté ni par l’école ni par la critique. Très peu de choses s’imposent entre son expérience de la réalité et son expression symbolique. Ceci donne une qualité spontanée, innocente, presque naïve. Cette qualité est clairement manifestée dans l’œuvre de l’artiste qui a été provoquée par ses expériences récentes : La série indienne qui est née d’un séjour au Sud de l’Inde ; son expérience en temps que nouveau père ; et ses descriptions de l’attaque sur le World Trade Center, avec implications bellicistes.

La remarquable série indienne est une traduction rapide de l’expérience par l’artiste de la qualité sensuelle et visuelle de la culture indienne, baignée par le soleil du Sud indien. Coloriste superbe, l’artiste a pu capturer la palette brillante et bariolée de l’Inde, avec ses descriptions d’animaux sacrés, son éventail de dieux du sublime au grotesque, ses populations, ses rivières et ses temples sacrés. Comme l’iconographie indienne, toutes les toiles de l’artiste sont remplies de sens. L’Inde a ses textes sacrés, mais la culture même est un texte baigné de sens. Ceci est capturé de façon puissante et concise dans une peinture qui décrit le Gange rouge sang avec des Indiens en turban et pagne, flottant vers les bouches multiples de temples hindous.

Les évènements tragiques du 11 septembre et la naissance de son premier enfant on certainement une signification profonde pour l’artiste ; mais qui se révèle avec le temps. En conséquence, les deux séries sont dépeintes de manière presque enfantine, des évènements pleins de sens symbolisent un sens de l’immédiat, l’émerveillement et la fraîcheur d’un enfant. Ce n’est ni la simplicité calculée de Miro, ni les évocations de célébration de Chagall (La Mer de Thiercelin), mais la conjonction dans l’immédiat de l’expérience humaine et sa symbolisation. C’est anamnésique parce que telle conjonctions sont très anciennes et leur symbolisme précède notre vie. Parce qu’elle est anamnésique, l’œuvre invariablement a des profondeurs cachées, c’est-à-dire des profondeurs qui nécessitent que l’on les regarde afin qu’elle émergent. Ceci est la matière dont sont faits les canons culturels. Un comité culturel de cognoscenti ne peut pas valider une œuvre qui dure. L’œuvre s’affirme et se valide parce que ses sources secrètes nous interpellent encore et toujours.

Parce que l’artiste, Thiercelin, possède une joie de vivre naturelle, une curiosité sans bornes, un sens de l’humour inébranlable et une volonté d’explorer et d’exploiter la vie dans la plénitude, même sombre de l’expérience, sa description de la vie dans l’art n’est jamais sans espoir ni dépourvue de la promesse de la transcendance. Le monde de Thiercelin ne finira pas d’une plainte mais d’une explosion d’être encore plus grande avec de nouvelle possibilités de couleur, de ligne et de structure palpitante, sans limites. On peut référer sans exagération à l’ « art joyeux de Thibaud Thiercelin ». Les explosions de collines en cascade de « San Francisco » ; la complexité brillante de « La nostalgie du roi » ; et l’austère paysage hivernal de « La Forêt » témoignent tous de cet esprit.

-Ken Whelan

Écrit sur les murs nomades

L’idée de peindre des signes et des figures sur un support remonte à la source de l’art.
À la Combe d’Arc ou à Lascaux, ce fut une opération conséquente inaugurant l’histoire de la représentation. Ce n’est pas rien de se séparer d’une figure mentale et de lui prêter une vie propre. Après avoir chassé l’animal, ne voilà t’il pas que l’homme chassait la figure animal hors de son esprit, lui donnant une autonomie et un avenir sans précédent.
Thibaud Thiercelin continue cette aventure pariétale, dans la forme propre à notre époque, c’est-à-dire d’un art mobilier.
Le support est devenu nomade.
Toutefois, sous l’apparence d’une figuration simple, presque naïve, en tout cas métaphorique, Thibaud Thiercelin avec beaucoup de malice, de vérité et d’intuition, nous propose une réflexion en abîme sur l’enfermement et l’émancipation.
Ce qui nous apparaît à première vue comme relevant de la métaphore de l’image banale, laisse apparaître au fur et à mesure des figures beaucoup plus complexes de notre mental. Du reste l’expression mur nomade est un oxymoron au même titre qu’ illustre inconnu, ou clair obscur.
Il fait défiler sous nos yeux tout un traité de figures, de la litote à la synecdoque, de l’ellipse à la licence, diminuant les figures, prenant leur partie pour le tout, les évoquant ou les libérant des contraintes dans une mutation bouleversante où les formes s’engendrent en permanence.
La métamorphose semble ininterrompue.
Ce qui était obscur à nos yeux se révèlent lumineux alors souhaitons à cet inconnu qu’il devienne illustre après avoir illustré notre inconnu.

-Gérald Stehr